L’avion se pose enfin. Autour du Tarmac de l’aéroport, le ciel est gris, une lumière rasante balaye le relief, tout est blanc, une couche de poudre de la veille scintille, il fait froid. L’odeur du kérosène se mêle avec l’odeur de la neige et des embruns.

Ici c’est Tromso, au nord de la Norvège, même latitude que le Groenland, à gauche, ou que Mourmansk, à quelques centaines de kilomètres à droite. Alors vu l’hiver calamiteux que nous venons de supporter, si l’on ne trouve pas un peu de poudre ici, c’est qu’il y a publicité mensongère.

Dans le hall de l’aéroport, il n’y a que des montagnards qui trainent leurs chaussures. Le monde pourrait se diviser en deux catégories… Ceux qui se trimbalent en boitant, qui sont sur le départ, et les autres encore stressés par l’idée de ne pas récupérer leurs bagages.
Je vous avoue que, le temps passant et le tapis roulant déroulant, on se sent de plus en plus appartenir à la seconde catégorie. Le tapis déballe des housses à ski et toujours pas notre matériel, du coup, forcément, depuis on le connait bien l’aéroport de Tromso…
Bon, vu que les bagages n’arriveront que le lendemain, je me permets quelques réflexions, la résultante d’un raisonnement qui font que cette fois ci on se retrouve en Norvège, pour skier les Alpes de Lyngen.

Dans une vie de skieur, il y a surement des destinations à ne pas manquer ; les Trois Vallées en sont une, la Suisse, l’Italie et toutes les autres grandes stations aussi, sans doute car dès qu’il s’agit de glisser, nous sommes tous pareils. Le son d’un claquement de fixation c’est toujours la même émotion.

Le gout du ski évolue au gré des périodes de votre vie de skieur, celle pendant laquelle vous tournez des piquets, celle où vous sautez tout ce qui vous passe sous vos pieds avec vos amis, celle où vous ne bougez pas de votre spot, dans lequel vous skiez vos lignes à vous pour les ciseler au gré des courbes. Certains en restent là, d’autres trouvent leur plaisir à partir en trip dans les stations étrangères, d’autres dans les pays où le ski reste marginal. Certains lieux ont la particularité de permettre d’évoluer en montagne tout en côtoyant l’élément marin, dans une esthétique folle : on peut parler du Kamtchatka et de ses volcans, mais aussi de la Norvège.

La Norvège, c’est l’empire de la rando, le graal du barbu, le pays de production de la chemise à carreaux qui sent la naphtaline… Non retenez moi, je m’égare totalement, je dénigre. Maintenant, la rando, c’est tendance et donc c’est freerando. Même si nous avons toujours fait, il est indéniable que l’évolution du matériel permet de monter léger et de skier pour de vrai. Terminée l’époque où vous montiez comme vous pouvez, avec les peaux qui se décollent, tout ça pour descendre comme vous pouvez en sur-flexion dans des chaussures qui vrillent tout en ayant peur de vous tordre un genou. Non, maintenant c’est fini, on peut enfin décemment monter pour descendre, et là c’est en Norvège que ça se passe.

Airbnb, vous savez, c’est ce site de partage qui vous permet de louer un logement pas cher et un peu partout dans le monde. En fouillant du côté de la Norvège, et notamment de Lyngen, on y trouve de tout : de la boutique grand luxe, du petit pied à terre et aussi du bateau, à quai ou bien sûr pour caboter.

C’est simplement à partir de ce site que vous préparez un voyage de ski. Reste ensuite à louer une guimbarde assez grande pour mettre votre matos et à vous la liberté ! Ici, aux alentours de Tromso, vous naviguez à vue, une route côtière passe en bordure de fjord, vous posez la voiture en bas du départ de rando : il n’y a plus qu’à mettre les peaux, et vous montez.

L’attente des bagages sera l’occasion de mettre en application cette stratégie pratico-pragmatique.

Le temps est avec nous, nous profitons de la première journée pour faire un bout de route aux alentours de Tromso et tenter de repérer des spots de randonnée pour les jours suivants. La Skoda Rapid va vite, une radio norvégienne à tendance rock distille quelques vieux Gun N’Roses et autres Van Halen classiques des années anti-boys band. Il n’y a qu’une seule route, les villages passent et se ressemblent, des maisons colorées sont posées face à la mer. Tout est très calme, propre, pas d’ordures en tout genre au bord de la route, nous sommes bien.

Nous sommes en direction de Tromvik, le ciel bleu est grandiose, les montagnes sont blanches et fraichement poudrées, la mer bleu foncé luit et les lumières sont d’une pureté folle. Un arrêt vers Ersfjorbotn, un petit village de pécheurs de fond de fjord, le poisson sèche au soleil. De chaque côté des sommets, il y a des lignes et des couloirs. Heureusement, ici on va bien prendre le temps de trouver notre ligne, il y a de la matière à l’infini… A condition d’avoir les bagages. Je ne vous cache pas que cette situation commence à nous peser un peu.

Après un dixième passage à l’aéroport, toujours pas de bagages. Nous traversons Tromso en direction du Nord, mêmes paysages, même quiétude et émerveillement. Après quelques kilomètres, la route file à l’intérieur des terres. De chaque côté de la route, une plaine bardée de bouleaux plantés dans la neige. Au fond, le village d’Oldervik, juste derrière la mer et en arrière-plan se dresse l’échine de la péninsule de Lyngen. De la colline, nous passons directement aux grosses lignes façon Alaska, des pointes partout, striées de couloirs. Tout est poudré et certaines lignes sont déjà skiées. Frustration quand tu nous tiens…

L’avion de 18h aura finalement livré les bagages.

Tromso et ses alentours

Tromso est une ville posée sur une île, desservie par trois ponts. L’endroit n’étant pas grand, tout est très dense : habitations, activités de service, de business, de pèche etc. Quelques stations de ski dominent la ville. Trop tard pour profiter du télésiège, surtout pour un trip freerando.

Nous nous retrouvons finalement à devoir coller les peaux dans la forêt, sous les câbles de la télécabine de Fjellheisen. Fin de journée ; nous nous dépêchons d’enchainer les croisillons de montée de peur que la nuit tombe. En dessous de nous, Tromso s’allume. Pour terminer, nous arrivons au sommet de la ligne de la télécabine. Les clients du restaurent nous prennent pour des demeurés. Le soleil tombe doucement derrière les montagnes, la lumière transforme les fjords en miroir. C’est à ce moment-là que vous prenez conscience que le coucher de soleil ne se fait pas en l’espace de dix minutes ; ici de toute façon vous prenez le temps.

Après deux jours de trip, la voiture n’est plus très vaillante. Nous l’avons garée au bord de la route juste après Ersfjorbotn, au bord du fjord. Collage de peaux, préparation du sac etc…Les croisillons s’enchainent régulièrement et la montée déroule, l’esprit s’évade et vagabonde dans les paysages alentours, imaginant des centaines d’autres lignes à rider. Du couloir bien raide ici, du grand ski dans la combe d’à côté, bref il faudrait au moins dix vies pour tout rider par ici.

850 mètres de dénivelé plus tard, nous nous retrouvons au sommet de Storsteinnestindan (ne me demandez pas de le prononcer). Un décor extraordinaire est posé devant nous : en contre bas, Ersfjorbotn, puis un fjord, un autre fjord et au loin Tromso (son aéroport et ses voyageurs qui attendent encore leurs bagages). Si le sommet de Storsteinnestindan semble tranquille, il est déjà tracé.

L’envers de Storsteinnestindan est bien plus attractif car il n’est pas tracé. Les courbes s’enchaînent dans cette neige travaillée : il ne reste plus qu’à se laisser glisser jusqu’à Ersfjorbotn.

Le temps s’est couvert et le vent souffle juste dans le bon sens pour nous permettre d’approcher un troupeau de rênes qui recherche de la broussaille à picorer aux pieds des bouleaux. Le troupeau a continué son chemin tranquillement et nous n’oublierons pas cette séance émotion inoubliable.

Après quelques jours passés aux alentours de Tromso, le temps est venu de nous rapprocher de la péninsule de Lyngen pour entrer dans le vif du sujet. À la vue de la météo pas très clémente, nous avons décidé de prendre la route bordant toujours les fjords entourés de montagnes enneigées. Nous passons une multitude de bourgs (Hundbergan, Fagermes, Sorbotn, Laksavtn, Seljelvnes, Nordkjosbotn, Overgard, Oteren, Rasteby, Furuflaten) pour enfin arriver à Lyngsedet, un village de 900 habitants. Lyngsedet, c’est un point de départ pour rayonner sur la péninsule de Lyngen, où nous avons vite fait le tour.

Nous décidons de faire un détour du côté de Svensby où la route s’étire le long du Kjosenfjorden. Les montagnes se redressent, de chaque côté sont posés des monts striés de couloirs rectilignes, le paradis de la pioche et du crampon, notamment du côté des faces Sud de Sofiatinden.

La plupart des faces Est ont subi le transport de neige. Le vent souffle fort et les nuages filent la moindre pente.

Ces tribulations se terminent en bas de Store Kjustinden, l’endroit qui semble à peu près stable et bien abrité du vent. Une bonne combe bien raide nous attend de pied ferme pour la montée. Ici, la physionomie du spot n’est pas la même qu’à proximité de Tromso, tout est beaucoup plus raide et tombe directement dans le fjord. Il ne nous reste plus qu’à transpirer lentement, enchainer les zigs zags et rester patient. Nous prenons pied sur une ancienne moraine ; l’endroit idéal pour manger des graines en réfléchissant à la suite afin d’analyser l’itinéraire de montée. Ici, les options sont multiples : couloir à gauche avec finish en corniche sommitale, à droite combe et couloirs communicants. Quel que soit le choix, la poudreuse est là, il suffit de trouver de la force dans les jambes pour appuyer de la bonne courbe.

Le supermarché de Lyngsedet ne voit passer que des skieurs, une sorte de supermarché international perdu au fin fond du Nord de la Norvège. Nous entendons parler toute sorte de langue, tous les clients déambulent en vêtements de randonnée, le rayon des bières et des graines sont pris d’assaut. L’occasion de faire le plein de saucisson et de viande de renne sous toutes ses formes et autre sachet de morue séchée pour la suite du trip.

Lyngsedet : au départ de l’autre dimension

Comme évoqué précédemment, Lyngsedet, c’est un village perdu dans le creux de la péninsule de Lyngen. Sur le quai du port sont alignés des bateaux de pêche. Ici, la nature est préservée et les ports ne sont pas chargés de déchets en tout genre. Il n’empêche que l’eau est bien noire et que même en été vous n’envisagez même pas de tremper un bout de doigt de pied.

A quai, à l’autre bout du port, sont amarrés deux vieux rafiots. Tout est calme, la nuit tombe, nous nous garons sur un parking désert. Le quai domine les bateaux. Après un moment d’attente, une personne en ciré jaune et rouge arrive à nous ; c’est Jaap, le skipper du bateau. Ce dernier sera notre maison jusqu’à la fin du voyage. Jaap est un admirateur de voile et de navigation, il porte ses bottes en caoutchouc et son ciré toute l’année.

Nous prenons place à bord du large pont de l’Opal, un deux mats de 24 mètres construit dans les années 50, une merveille de bois, très bien entretenu. Ranger du matériel de ski sur un bateau est quelque chose de surréaliste, l’accomplissement d’un rêve de skieur. Après l’hélicoptère, place au bateau pour nous offrir la meilleure des vues. Cela a quelque chose d’imprévisible, surtout quand les montagnes s’étirent à perte de vue. Nous prenons alors conscience que le voyage prend une autre tournure, l’ampleur du trip inattendu.

Les cabines sont grandes comme des boites à chaussures ; l’endroit est étroit mais très cosy. Nous faisons connaissance avec nos collègues de croisière : un couple d’allemands et un italien. A la cuisine, Tord et Peter, notre guide.

La boucle a duré 6 heures et environ 2000 mètres de dénivelé positif. L’Opal est loin de la plage, le soleil tombe et l’annexe arrive pour nous récupérer, demain va encore durer quelques jours. Je pourrai vous en raconter encore et encore tellement l’endroit est incroyable, infini, tellement la nature semble être restée figée. Si ce trip rando était différent, le ski nous a encore permis de vivre de nouvelles expériences dans une montagne toujours différente. Sur le pont de l’Opal revenant vers Lyngseidet, une seule expression nous vient à l’esprit : « c’est tellement bon que trop n’est jamais assez ».

La voiture est sur le quai, notre équipage continue. Descendre de l’Opal nous donne l’impression de revenir vers un autre monde. Nous quittons Lyngseidet vers Tromso. Les bagages nous rejoindront une semaine plus tard, au bureau.

Côté Pratique du voyage

  • Vol :

Lyon-Amsterdam/Amsterdam-Bergen/Bergen-Tromso.

D’autres vols passent par Oslo. Les vols sont multiples. L’essentiel est de faire en sorte d’avoir au minimum 2 heures d’escale en Norvège pour permettre aux bagages de vous suivre directement jusqu’à Tromso.

  • Passeport :

Pas besoin de Visa mais bien vérifier que le passeport soit encore valable plus de six mois après votre retour.

  • Argent :

Même si vous vous êtes bien senti en Europe jusqu’en Norvège, et bien vous n’êtes pas en zone Euro. Il vous reste donc à changer quelques euros en couronnes norvégiennes. A l’heure où je vous parle, voici le taux de change : 1 Euro= 9,2789 Couronnes norvégiennes.

  • Dormir :

Airbnb est très pratique pour ce genre de voyage. Sinon, à Lyngsedet, il y a le Magic Moutain Lodge, c’est à priori « the place to be » quand vous faites de la rando dans les Alpes de Lyngen.

  • Manger :

Ici la nourriture est plus chère : alors toi le randonneur, l’amateur de barre énergétique en tout genre, je t’encourage à prendre quelques unités dans ton sac, si vous ne voulez pas vous trouver obligé de vous sustenter à la morue séchée et à la viande de renne trafiquée.

Nous, on a chargé la Skoda de bières et de courses à Tromso, histoire d’avoir un fond d’alimentation à disposition.

  • Boire :

Sans taper dans la quille de vodka, et autres alcools forts incompatibles avec notre condition physique de Killian Jornet, en Norvège, vous trouvez de la bière à tout va, les canettes sont de couleurs différentes mais on a le sentiment de boire un peu la même chose. Attention toutefois, vous ne pouvez pas acheter des bières le dimanche, alors anticipez ; ou buvez du thé.

  • Topos :

Des topos nous pouvons en trouver sur les sites de rando tels que Skitour, Camptocamp et Consorts. De nombreuses personnes font des reportages circonstanciés. Il faut juste noter que bien souvent, ils sont redescendus par là où ils sont montés. Se procurer un topo guide avant de partir. Même si certaines randonnées se font à vue, le topo permet d’estimer la durée de la rando selon l’évolution de la météo ; effectivement, nous sommes proches de l’océan et ça bouge rapidement.

  • Bouger :

Louer une voiture : nous sommes passés par un loueur du marché. Il est également conseillé de réserver avant afin de bouger directement de l’aéroport et afin de caler tout notre matos.

  • Sécurité :

Si vous n’êtes pas guide, vous devez être encore plus vigilant, outre le matériel de sécurité triptyque. Il faut un portable avec une batterie de rechange. En randonnée, (sauf si vous décidez de monter sur du plat), vous êtes plus exposés au danger, notamment à la montée. Vous devez en permanence vérifier votre itinéraire de montée. La rando c’est chouette, mais vous devez tout le temps observer la montagne et ne jamais arrêter de scruter la neige et les endroits exposés. Le choix de l’itinéraire est primordial.

  • Stabilité :

Partout dans le monde, la neige est un élément insaisissable, donc à vous de vérifier les conditions météorologiques et d’évaluer la stabilité à la montée comme à la descente.

En Norvège, les faces Est sont réputées instables, nous avons vu beaucoup de ruptures de plaques.

  • En cas de soucis :

Le 112 fonctionne.

Pensez aussi à souscrire une assurance rapatriement.

  • Adresses utiles :

www.northsailing.no

Peter le guide : https://www.facebook.com/ps.avalanche.consulting

5/5 - (2 votes)